Apprendre à s’aimer
Vivre à l’envers dans un monde inversé
Je vous invite à penser notre société comme une société des miroirs, où les individus évoluent dans un espace fragmenté, éclaté et dépourvus de repères fixes, où chaque reflet perçu est une perception biaisée, une image projetée de soi, qui nous est imposée. Au coeur de cette dynamique politique collective : l’obligation de se responsabiliser de nous-mêmes, par la peur. Dans ce jeu de reflets infinis, se voir, et comprendre qui l’on est devient, est un défi permanent, car ces reflets nous appellent à des versions de nous-mêmes que nous ne reconnaissons pas totalement, d’autres que nous avons été, ou pensons encore être. L’égo comme protecteur de synthèse identitaire, nous appelle alors à la défense de ce que l’on croit vrai, non pas tant par le mensonge que l’on se porte naturellement par déni naturel de l’agressivité de ce monde, mais la recherche de sécurité dans un environnement où seule notre solitude semble certaine.
Mais qu’est-ce que cela signifie vivre à l’endroit dans un monde à l’envers ? C’est accepter de voir les positions que nous prenons au quotidien, non pas comme une compromission de nos valeurs, mais l’opportunité d’en découvrir de nouvelles, comme un chemin nécessaire pour comprendre ce qui, en nous, a été nié, rejeté ou simplement ignoré. Ce que nous pensions nous être étranger, nous appartiennent peut-être plus qu’on ne le croit, car nous ne sommes pas seulement ce que nous avons choisi d’être, nous sommes aussi tout ce que nous avons refusé d’intégrer comme faisant partie de nous par dissociation d’égo à ce qui résonne à notre individualité. Plutôt que de le ressentir, nous avons pour beaucoup préféré l’orgueil moral de la définition de soi.
Aujourd’hui, la seule voie de régulation de ce chaos temporaire qui semble viable, repose sur la responsabilité individuelle de se confronter à ces peurs que l’on nous impose, et le choix d’aimer tout ce qui est réalité vécue. L’amour n’est pas un simple sentiment, mais comme un principe actif d’acceptation de ce qui est et de civilité, de maîtrise de soi. Cet article propose d’aborder cela, en interrogeant la place de la civilité, du cœur et de l’intégration de notre ombre dans un monde où chacun semble chercher un point fixe sans le trouver.
L’écriture et la littérature comme remèdes
Se débattre avec des reflets que l’on ne pensait pas être siens, c’est accepter sa différence sans mensonges. C’est accepter sa vulnérabilité, ses faiblesses, sa laideur, pour y trouver de la beauté. C’est sacrifier des parts de soi, pour rencontrer une représentation de nous même étendue, plus en accord avec ce que la somme de nos expériences à fait de nous même. Ici, l’acte d’écrire et la littérature deviennent des refuges essentiels, autant lorsque les verbes et mots proviennent de nous ou d’autrui. Ce sont des portails vers notre intériorité mis en mots, de façon éternelle, sur des pages. Écrire, c’est extraire une vérité intime du chaos environnant et intérieur, c’est poser des mots sur des émotions éparses, c’est organiser un espace de vérité qui nous est propre et stable dans un monde qui semble absurde et dépourvu de sens; tout commence peut-être par le fait de poser par écrit ce que l’on sait être un mensonge.
Frida Kahlo écrivait : « Il n'y a, en fin de compte, rien à faire pour être aimé, juste à être. » Cette phrase résonne profondément en solution de ce qui a été abordé ci-dessus. Là où nous cherchons souvent l’amour à travers la validation extérieure, la représentation de nous même en la matérialité, les marques et identités de synthèse, résonne et se terre l’authenticité de notre être profond. C’est à dire que là où l’on cherche, il serait davantage question de pouvoir se donner. L’écriture permet cette rencontre, de se libérer des attentes et des illusions projetées au profit d’idoles et de fausses représentations, et donc d’autrui sur nous même. Tous différents oui, mais tous différents intérieurement.
La littérature ne sert donc pas seulement à comprendre le monde ; elle guérit le notre, à l’abri des regards et des mots partagés à autrui, à l’abri de la futilité de l’oralité et de impermanence. Elle est un miroir non déformant, brut et sincère, de notre condition, une manière d’apprendre à se voir avec justesse. Ceux qui écrivent dialoguent avec eux-mêmes et autrui, tissent des liens entre leur passé et leur futur, entre leur inconscient et leur conscience ; pour trouver une unité dans l’acte de confrontation. Ils prennent ainsi la responsabilité de leur propre guérison, sans attendre que l’extérieur leur apporte une réponse. Écrire, c’est se guider dans l’incertain. Lire et se souvenir, c’est guérir.
Une société régulée par l’amour et le secret des âmes
La où la dissolution semble reine et totale, où les normes collectives vacillent sous le poids de la société d’individus dans laquelle nous baignons, ce qui maintient encore un semblant de cohésion n’est pas la loi ou l’autorité de la culture faite à l’image de Dieu par le calque de la raison et de la science pour l’imiter, mais un ensemble de choix silencieux, de renoncements, d’actes invisibles de civilité et d’amour.
Ce que nous vivons peut être décrit comme une société ayant institutionnalisé l’état de nature (Réf. Philosophie politique - Le contrat social Rousseau), où la civilité n’est plus imposée par des normes sociales strictes ou des institutions autoritaires, mais où elle devient un acte individuel, choisi en conscience, porté par un souci moral du cœur. Il n’y a plus de repères collectifs solides qui encadrent ces élans, plus de valeurs définies sur lesquelles s’appuyer car le fondement du lien social à jusqu’à présent été une mise en oeuvre politique d’un projet philosophique, par un agenda continu et inscrit dans une dynamique culturelle depuis les révolutions libérales. Là où chacun se régule par une alchimie intime, où l’amour – ou du moins l’attachement à un certain idéal de soi et de l’autre – devient un principe d’équilibre ; c’est la philosophie en actes, par la prise de pouvoir sur soi et l’acceptation de sa nature politique qui permettra un renouveau. Le fascisme français, c’est la culture de la liberté, pour nous l’imposer et tendre à une société d’artistes.
Dans ce contexte, la responsabilité de chacun est immense : celle d’être soi, ceux qui refusent cette introspection risqueraient de sombrer dans une forme de brutalité contre autrui ou lui-même où l’individu dévore l’autre sans scrupules, incapable d’une quelconque retenue ou relâchement. À l’inverse, ceux qui prennent le risque de manger leur propre âme, pour avoir le courage de reconnaître en eux même et sans jugement moral, qui ne relève pas de l’homme envers autrui, la part sombre de leur nature : trouverons un chemin de paix avec eux mêmes – c’est-à-dire faire l’effort de renoncer à leurs désirs immédiats, à leur égo, et leurs impulsions primaires bien que noyées en elles depuis plusieurs années par le culte du marché et de la consommation de masse inhibitrice. La voie de la difficulté, c’est trouver une paix en soi, non la demander à l’extérieur et au monde, non parce qu’ils se sacrifient, mais parce qu’ils comprennent avec le temps l’effort et l’incertain, que la seule liberté réelle et le seul pouvoir, sont ceux que l’on conquiert sur soi-même.
Loin d’être un monde chaotique et vide de sens, cette société offre en réalité une opportunité rare : celle de se réinventer, non pas en se conformant à des normes imposées, mais en choisissant consciemment d’intégrer ce que l’on refuse de voir en soi. La civilité de demain ne pourra pas reposer uniquement sur des lois ou des codes sociaux rigides, mais sur la capacité de chacun à se maîtriser et à se comprendre, à s’ouvrir à l’ombre sans en être esclave. La philosophie comme ancienne quête d’idéal à mener les sociétés occidentales à apporter sur terre la possibilité et capacité de réaliser cet idéal.
L’écriture et la littérature s’imposent donc ici comme des outils essentiels de guérison et de compréhension. À travers les mots, chacun peut apprendre à se lire, à se voir avec justesse, à accepter ce qui, en lui, semblait trop trouble ou trop complexe pour être regardé en face. Seule cette introspection sincère permet de sortir du jeu des reflets et d’accéder à une vérité plus simple : celle d’être, sans chercher à correspondre à l’image attendue par autrui.