L'humanisme de l'orgueil
L’orgueil est une des manifestations les plus humaines qui soient. Il n’est pas un défaut à éradiquer, mais une construction psychologique essentielle qui structure notre rapport au monde et aux autres tant il est la partie identifiée jusqu’à présent comme étant la plus humaine qui soit, comme défense d’une identité en l’existence, intérieure et naturelle. Chacun vit sa propre réalité subjective, façonnée par la souffrance et l’expérience personnelle, les attaches personnelles et la volonté de subsiter. Cette souffrance, souvent perçue comme une identité car représentée par les marqueurs de notre condition propre, et attache renversée à une idée du monde de l’enfance blessée, qui n’est pas ou n’est plus. Cette idée défendue par l’orgueil agit comme un rempart contre l’inconnu, la remise en question et la vulnérabilité.
Dès l’enfance, face aux blessures et à la nécessité de se forger une identité stable, l’idéal et le déni de réalité permettent de se protéger. L’orgueil intervient alors comme l’interface d’un impossible échange une fois l’âge adulte atteint, entravant la communication et créant des tensions qui ne sont pas le fruit du monde extérieur, mais les reflets de conflits intérieurs non résolus. Comprendre cela est essentiel pour cesser de percevoir l’orgueil uniquement comme un obstacle et le voir comme un message de l’âme à décoder.
L’orgueil, un mécanisme humain de préservation
L’orgueil n’est pas qu’une manifestation d’arrogance ou de supériorité. Il est avant tout un mécanisme de défense, enraciné dans la psychologie humaine, visant à protéger l’individu d’une remise en question trop brutale de son identité et de ses expériences. C’est à dire qu’il fait partie intégrante de la nature humaine, que l’on ne peut faire sans, et qu’il est une des caractéristiques de notre nature, inhérente à celle-ci, qui puisse faire davantage de mal qu’autre chose, au relationnel humain; empêchant à raison de l’état du relationnel social et de nos pratiques, une communication saine et entendue. L’empathie mourante est signe de repli autant sur l’égo ou l’orgueil, en venant à condamner notre démocratie. Freud, dans ses travaux sur le moi et le narcissisme (Pour introduire le narcissisme, 1914), explique comment l’individu bâtit des barrières pour maintenir une cohérence intérieure, empêchant toute remise en cause qui pourrait sembler menaçante. L’orgueil comme défenseur portant bannière des souffrance non entendues, empêchant elles même, consciemment ou non l’amour de soi, en vient à impacter le narcissisme balancé de la personne pouvant chercher à s’aimer.
D’un point de vue neuroscientifique, Antonio Damasio, spécialiste des émotions et de la conscience (L’Erreur de Descartes, 1994), souligne que l’orgueil est une réponse émotionnelle protectrice, empêchant l’individu d’être submergé par des états de vulnérabilité trop intenses. Ainsi, l’orgueil est une nécessité biologique autant que psychologique, permettant d’éviter l’effondrement identitaire face aux difficultés de la vie.
L’orgueil d’autocensure par culpabilité
L’orgueil n’agit pas seul : il est souvent renforcé par la culpabilité, qui inhibe la volonté et empêche l’individu d’exprimer pleinement ce qu’il est. Dans une culture où la morale s’est construite sans référence spirituelle transcendante, l’absence d’un cadre religieux ou mystique structurant laisse place à une inversion des valeurs morales, où la science et la rationalité deviennent les nouveaux arbitres du bien et du mal.
L’orgueil, lorsqu’il est couplé à une culpabilité internalisée, entraîne une forme d’auto-censure, où l’individu se refuse d’exister pleinement par peur du jugement ou du rejet. Ce phénomène est particulièrement marqué dans les sociétés modernes, où les normes ne sont plus dictées par une autorité divine ou royale, mais par des dogmes sociaux implicites qui façonnent les comportements. Comme l’explique Aaron T. Beck (Cognitive Therapy and Emotional Disorders, 1976), la rigidité des schémas mentaux induits par ces pressions externes peut bloquer toute transformation intérieure.
Se comprendre plutôt que de se combattre soi-même
Les tensions intérieures, souvent perçues comme des conflits externes, sont en réalité des indicateurs d’un besoin de transformation. Jung, à travers son concept d’ombre (Aïon, 1951), explique que les aspects de nous-mêmes que nous refusons d’intégrer prennent la forme de conflits récurrents avec autrui. Ainsi, nos tensions ne sont pas nos ennemies, mais des reflets de ce que nous refusons de voir en nous-mêmes.
En ce sens, l’orgueil, lorsqu’il devient rigide, empêche cette confrontation avec l’ombre et maintient l’individu dans une posture défensive, où il perçoit tout désaccord comme une attaque personnelle. Prendre du recul permet de ne plus voir l’autre comme une menace, mais comme un révélateur de nos propres dynamiques internes.
L’amour et la sincérité comme alternatives
Si l’orgueil est une barrière humaine naturelle, l’amour véritable est ce qui permet de le dépasser : l’amour de soi avant tout laissant place à la reconnaissance empathique de la souffrance de l’autre dans le relationnel et l’échange, la discussion qui pourrait prendre place dans une interaction à l’autre, mais il est crucial de distinguer l’amour authentique de la pitié ou de la soumission morale. L’interaction humaine a également un jeu de pouvoir et de domination qui lui est inhérente et qui joue pour beaucoup sur des mécanismes d’influence émotionnelles et sentimentales. Aussi, l’amour véritable implique la compassion, l’attention et la sincérité, sans tomber dans l’instrumentalisation ou la justification de soi par l’égo vis-à-vis d’un autre. L’égo apparaît ici comme une entrave à la rencontre et à la reconnaissance de la différence par son imposition par la peur, non de l’autre mais de soi même pour s’attacher à un sentiment d’identité qui n’est pas celui que l’on pourrait découvrir par l’échange compassionnel et sincère à autrui.
François Cheng, dans Cinq méditations sur la beauté (2006), insiste sur l’idée que l’amour et la beauté ne résident pas dans la possession ou la domination, mais dans la capacité à voir l’autre et soi-même avec justesse. En ce sens, la sincérité et l’écoute sont les clés d’un dialogue libéré de l’orgueil, où chacun peut s’exprimer sans être enfermé dans une posture de défense.
Se réconcilier avec l’orgueil
L’orgueil est un phénomène humain inévitable. Il n’est pas à combattre, mais à comprendre et à apprivoiser. Plutôt que de le voir comme un obstacle, il est possible de le considérer comme une invitation à l’introspection. L’enjeu est de trouver l’équilibre entre la protection de soi et l’ouverture à l’autre. Plus nous nous connaissons, plus nous devenons capables d’abandonner les luttes inutiles et d’accueillir l’existence telle qu’elle est.
Finalement, se détacher de l’orgueil ne signifie pas s’effacer, mais apprendre à être avec justesse, sans peur d’être blessé par le regard d’autrui. C’est en acceptant nos tensions, nos erreurs et nos rigidités que nous pouvons enfin entrer dans un dialogue sincère, à la fois avec nous-mêmes et avec le monde. Dans un monde où les anciens récits mystiques et symboliques ne sont plus reçus, il devient essentiel de retrouver une posture consciente et apaisée face à nos sentiments, pour que l’orgueil ne soit plus un mur, mais un pont vers une meilleure compréhension de soi et des autres.